Numéro Spécial “Hélène Charbonnier Moisand”
(1886-1964)
Edito
Philippe Moisand
Numéro spécial parce qu’il est exceptionnellement consacré à une seule personne que nous avions inconsidérément oubliée dans les 19 numéros précédents, mais aussi parce que nous avons pour la première fois fait appel à tous ses descendants directs pour participer à cette forme d’hommage que nous voulions rendre à notre grand mère. Merci à tous ceux qui s’y sont « collés », le plus souvent avec talent.
De qui parlons-nous? De La Reine ou de Bonne Maman? Anne a bien raison. Le qualificatif de La Reine appartient à nos parents. Pour nous, c’est bien sûr celui de Bonne Maman que vous avez d’ailleurs tous plébiscité sans même y prendre garde, tout simplement parce que c’est celui qui vient immédiatement à l’esprit quand on vous demande de parler d’elle. J’ai été très ému de prendre connaissance de vos témoignages d’où il ressort tant de respect, d’admiration, et surtout d’affection sincère et réciproque. Libérée de son rôle de chef de famille qu’elle a dû assumer seule pendant longtemps vis-à-vis de ses propres enfants, Bonne Maman dévoilait effectivement, dans sa relation avec ses petits enfants, sa vraie nature et retrouvait toute l’affection dont la génération qui nous a précédés se croyait un peu privée.
Ce numéro spécial est une sorte de compilation de tout ce dont nous disposions sur le sujet et de tout ce que vous avez bien voulu nous communiquer. Pas facile de vous en faire une présentation parfaitement claire et cohérente. Nous avons choisi de classer tout cela en quatre grandes rubriques: en premier lieu, vos témoignages, puis les oeuvres, des photos et dessins et enfin des documents. J’espère que vous vous y retrouverez.
C’est un premier pas, mais il reste tant à dire de ce personnage hors du commun que nous avons prévu d’intégrer progressivement ce que vous voudrez bien continuer à nous adresser. Peut-être la lecture de ce numéro spécial donnera-t-elle des idées à celles et ceux qui ne se sont pas encore jetés à l’eau.
Bonnes et joyeuses fêtes de Noël à tous.
Photo de titre : détail du vitrail “Italie” de la grande salle à manger de la Villa. L’auteur du vitrail aurait pris Hélène comme modèle et c’est ce portrait d’Hélène avec un diadème qui aurait été à l’origine de son surnom, la Reine : légende ou réalité ?
Ce vitrail a l’âge de la Villa, 100 ans en 2020 (!). Hélène avait alors 34 ans.

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Témoignages
(Photos des années 1950 : Bonne-Maman entourée de ses petits-enfants)
Dominique Moisand
C’était sans doute un dimanche de printemps, calme entre deux débarquements de Parisiens, la Villa était exceptionnellement à nous, les voisins. Toujours aussi dynamique, Bonne-Maman s’activait. Et la voilà qui m’entraîne autour de la table hexagonale au milieu du hall, nous nous asseyons sur les grosses chaises cloutées. Elle attrape un crayon et une feuille de papier. Il y a un bouquet sur la table dont je serais incapable de me rappeler la composition et elle se met à dessiner un décor floral. Le temps s’arrête, son visage est à la fois épanoui et concentré. Pour moi qui ignorais tout de ses créations et de ses capacités artistiques, c’est le souvenir de son naturel et de sa simplicité qui me revient surtout. Dans cet exercice de création, comme en général, elle ne se prend pas au sérieux mais elle va au bout, tout en parlant. Que penses-tu de ce bleu ? Quelle forme va-t-on choisir ? Comment appellera-t-on le service si c’est réussi ? Concluant par « bon voilà, je donnerai ça à la peinture demain ».
Il m’est arrivé ensuite de rencontrer des gens qui expliquent avec des mots de tous les jours un domaine que l’on ressentait comme extrêmement complexe. Ça me faisait penser à Bonne-Maman. La simplicité serait-elle le masque du talent ? ce qui expliquerait qu’on le croise sans le voir ?
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Denis Moisand
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L’Adieu
Nous étions trois bambins, trois cousins de la même année : 1954 ! Il y avait Francois, le plus studieux. On ne le voyait qu’aux vacances. Puis Jean-Yves, le plus vif que je retrouvais chaque week-end pour des parties de vélos sans fin. Et moi, Denis, le fils de Marcel, le plus turbulent. Les graviers blancs de Longchamp volaient sous nos dérapages et faisaient bondir l’Oncle Robert. Quand les « grands cousins » nous prenaient sous leur aile protectrice pour nous apprendre à faire un circuit de petites voitures, c’était le grand bonheur. Mais il fallait vraiment que Bruno ou Dominique n’aient rien de mieux à faire. C’était donc d’autant meilleur que c’était rare !
Lors des grandes vacances, nous avions droit au dortoir du troisième ! Sous la houlette de Solange, quels souvenirs délicieux, elle était si douce avec nous… Au contraire de Bonne Maman, qui ne nous voyait pas vraiment. Appuyée sur son radiateur de l’entrée, dès les premiers frimas, Bonne Maman avait l’art de nous malaxer le menton tout en parlant au-dessus de nos têtes avec oncles et tantes. L’exercice pouvait durer longtemps et nous nous y prêtions de bonne grâce. Elle nous fascinait. Ni tendre, ni attentive, ni douce, ni maternelle mais si présente, si rayonnante. Le soir au salon, nous écoutions les répétitions de la chorale alors que tante Yvonne ou Christiane s’installait parfois au piano. Les sons montaient dans le grand Hall et dans nos petites robes de chambres, nous prisions ces spectacles, allongés en guetteurs contre la rampe. Et puis, il y avait aussi les cours de catéchisme. Là, pas question de chahuter. Mais ses talents de conteuse nous émerveillaient. Pas besoin de cassettes de Disney. Nous étions à Longchamp dans un autre monde.
Hélas, le souvenir le plus percutant que j’ai de Bonne Maman fût son décès si soudain. Nous étions encore de grands enfants et je n’avais jamais été confronté à la mort d’un proche. L’évènement fut si brutal, si inattendu. Un chagrin énorme s’empara de nous trois. Inconsolables, nous pleurions comme des madeleines. Aucun des « grands » ne prenaient soin de nous expliquer la situation. Et nous étions furieux après la messe de voir cousins et oncles et tantes ripailler et rire dans le hall. Nous comprendrions plus tard qu’au-delà du grand respect de la personne disparue, il y a dans ces moments-là une joie indicible à se retrouver.
Mais notre trio, malgré son jeune âge, avait compris que ce jour-là une page immense écrite par un être exceptionnel venait de se tourner à Longchamp…. Plus rien ne serait comme avant !
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Marie-Hélène Duffour Froissart
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vFemme de foi, forte femme, femme de tête, d’intelligence, d’ouverture…
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A l’orgue et au piano
Je te revois, Bonne-Maman, à l’orgue, chaque dimanche matin, chaque jour de fête avec tes choristes. J’assiste aux répétitions nocturnes à la Villa, aux voyages de la chorale, j’ai eu la chance de les accompagner jusqu’aux lacs italiens, voyage inoubliable dont ils ont parlé longtemps les soirs d’hiver.
Dans le salon, le piano à queue a disparu mais je fais comme s’il était resté là et j’entends « Tristesse » de Chopin ou la Polonaise héroïque ou la sonate au Clair de Lune et je cède alors à l’émotion.
« Bonne-Maman… nous avions beaucoup mieux que la télévision, nous t’écoutions en tournant les pages de ta musique. »
Chez Bonne-Maman
(article paru dans le bulletin n° 5 du Chardenois, mai 2010)
Toutes les vacances de mon enfance sont aux couleurs et aux parfums de la Bourgogne, à Longchamp, chez Bonne-Maman et Grand-Père. Ce dernier est mort quand j’avais neuf ans et je m’en souviens peu. J’ai composé, à l’occasion d’un anniversaire de Bonne-Maman, un poème à travers lequel je définissais ainsi la demeure :
Maison aux courants d’air
Maison où tout est clair
La grande villa est là
Entourée de lilas
Le royaume des enfants était le deuxième étage du haut duquel nous plongions, autour d’une vaste balustrade, sur le gigantesque hall d’entrée, passage obligé pour se rendre au salon, ou au fumoir, ou à la salle à manger, ou à la cuisine, ou aux escaliers qui conduisaient au premier étage. Les mosaïques colorées du carrelage nous fascinaient. Mes cousins les utilisaient pour des concours de crachats : la règle du jeu était préétablie en fonction d’une couleur et d’une forme géométrique. Je me contentais de regarder, de hocher la tête et de sourire parfois. Finalement, ces amusements ne m’amusaient pas.
Comme je préférais les soirées musicales, autour du grand piano à queue de Bonne-Maman, ou la joie d’être associée à la mise en place du couvert pour vingt à vingt-cinq personnes, avec autorisation du choix des faïences en harmonie avec le linge et composition des bouquets de centre de table. C’est de cette époque que je garde l’amour des zinnias, des dahlias, des asters, qui proliféraient au mois de septembre.
Rondeur de la soupière, éclat de l’argenterie, lumière tamisée qui traverse le vitrail sur lequel Bonne-Maman est figée en robe pourpre. Les œufs brouillés tremblent au fond du légumier, la saucière tourne avec le gigot et les flageolets ont pris le sens inverse. Les plats convergent au centre, devant Bonne-Maman que tous appellent « La Reine ».
Je sais aujourd’hui qu’on l’avait bien désignée.
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Anne Moisand Couturier
Photo de titre : Hélène et son premier enfant, Henry
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Pour ma part le nom de La Reine concerne plus les grandes personnes de l’époque et ne représente pas la Bonne Maman avec laquelle j’ai eu la chance de partager tant de bons moments .
Nous qui avons été écartés de la vie du village ne fréquentant pas l’école communale, c’est grâce à Bonne Maman à travers le catéchisme , les répétitions de chorale à la villa , les préparatifs pour la fête Dieu , Pâques. etc ..que j’ai pu me plonger dans la vie du village .
Par son engagement aussi bien à l’usine que dans sa paroisse elle gardait pour nous un esprit toujours jeune.
Il me revient en mémoire une anecdote à ce sujet : c’etait en période de vacances dans les années 60 et la Villa était bien remplie ; s’adressant à ses petits enfants adolescents elle nous demande de faire une « boom » car cela la changerait des préoccupations de ses enfants parlant de couches et de biberons !!!!
Et je revois Bonne Maman penchée à la balustrade du 1er étage nous regardant danser dans le hall sur l’air de « j’entends siffler le train » ou « tous les garçons et les filles ».
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Daniel Moisand
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Photo de titre : Hélène et Gaëtan , 1931
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J’avais 18 ans à son décès, mais je n’ai fréquenté Longchamp qu’un mois par an pendant les vacances scolaires, et ce jusque vers l’âge de 12-13 ans. J’y retrouvais avec plaisir les cousins, les oncles ou plutôt les tantes et bien sûr Bonne-Maman.
Malgré cela, je n’ai que très peu de souvenirs directs de Bonne-Maman. Longchamp était synonyme de vacances, de liberté et je ne voyais en fait Bonne-Maman que lors des repas et encore, je ne mangeais pas à sa table, réservée aux adultes, et si j’ai beaucoup de souvenirs des tantes, je n’ai aucune anecdote ou autre souvenir personnel direct de notre grand-mère.
Je pense qu’il faut faire un grand distinguo entre les cousins « longchampois » et les « parisiens ». Nos deux jeunesses ont été très différentes, grandir en pleine campagne n’a certainement pas toujours été une partie de plaisir, mais à notre différence, les Longchampois ont mieux connu Bonne-Maman.
Aujourd’hui, quand je pense à Bonne-Maman, ce n’est pas en fait ma grand-mère que je vois, mais ce personnage quasi mythique « la Reine » et je crois pouvoir affirmer que c’était déjà cela à l’époque, certainement sous l’influence des « grands » (cousins, cousines, oncles et tantes).
Je peux quand même livrer cette anecdote : Longchamp, c’était les vacances, la liberté, certes, sauf à table où nous, les plus jeunes, ne pouvions qu’attendre que tous les « grands » se soient servis pour voir enfin arriver des plats malheureusement quasiment vides. Heureusement Eva, la cuisinière, veillait … et j’ai, en fait, souvent complété le repas à la cuisine !
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Elisabeth Moisand Gresset et Jacques Gresset
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Elisabeth
Ce qui m’a particulièrement affectée, quand je repense à Bonne Maman, c’est sa fin de vie. Elle devait jouer notre messe de mariage programmé en juillet 1964. Début juin, Bonne Maman tombe gravement malade, d’une maladie cardiaque qui affecte particulièrement la famille. Nous avions installé son lit dans le salon et nous, les enfants et petits-enfants Longchampois, passions la voir régulièrement. Je me souviens très bien l’avoir entendu dire : « j’ai tant aimé la vie » et « je vais au ciel ». Quel bel héritage ! : aimer la vie avec l’espérance de l’éternité. Merci Bonne Maman
Après délibération familiale dans la grande salle à manger, notre mariage n’a pas été repoussé à l’automne comme décidé initialement alors que nous étions en deuil, mais a bien eu lieu en juillet, en partie grâce à l’insistance d’oncle André, non à la Villa mais dans notre maison « d’en haut ». Heureusement il faisait beau et nous avons pu accueillir toute la famille dans le jardin
Compte tenu des circonstances, nous n’avons pas dansé ce soir là. La valse de Strauss avec « le Padre » (mon père) a eu lieu lors de nos 25 ans de mariage (!), à la Villa cette fois-ci.
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Jacques
Je fus le dernier chauffeur de la Reine. En effet, au mois de mai, Babeth et moi, l’avions emmenée faire un tour dans sa voiture, une Peugeot 404 me semble-t-il, dans la forêt de Longchamp. Dans l’allée des vaches, nous roulions en douceur, au soleil, parmi tous les arbres aux jeunes feuilles. Elle avait beaucoup apprécié et m’avait beaucoup remercié. Nous, bien sûr on ne savait pas que c’était sa dernière sortie. Elle avait évoqué son père qui aimait tant chasser dans ces grands bois avec ses chiens et ses amis.
Nous ne pouvions pas imaginer qu’elle allait nous quitter si vite.
Solange Bernard Regnaud
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C’est avec le regard d’un enfant que je vais évoquer des souvenirs de Bonne Maman. J’ai passé des vacances à la Villa à Pâques, en été , et même à Noël, et ai participé à quelques grandes fêtes familiales, jusqu’à l’âge de treize ans. Je ne l’ai pas côtoyée dans ses dernières années et ai la chance de garder l’image d’une femme rayonnante. Par contre, j’ai toujours regretté de ne pas avoir pu lui dire un dernier adieu : lors de ses obsèques, je passais l’épreuve de philo du bac et devais veiller sur mes deux chers neveu et nièce Girard qui avaient la rougeole…
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Photo de titre : Hélène et Solange le jour de la communion de cette dernière ; un superbe échange de regards qui transparaît malgré le flou de l’image
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Bonne maman…
Je la revois rentrant dans la Villa, portant un tailleur de tweed gris, jupe droite et longue veste cintrée retombant sur ses hanches larges. Tout en elle inspirait respect et admiration : sa démarche digne et assurée, son visage lumineux, son regard clair et profond qu’elle portait au loin. Il semblait qu’elle était au service d’une tâche supérieure et que rien ne pouvait l’en distraire .
Sa présence animait les lieux qu’elle traversait.
J’aimais la voir arriver dans la cuisine le matin, au moment du petit déjeuner. Des femmes dévouées veillaient sur elle, lui rappelant son sac oublié, l’aidant à faire sa piqure, lui préparant ses médicaments. Les détails du quotidien n’étaient pas son fort ! Pourtant, elle-même semblait orchestrer la vie et l’organisation de la maison, donnant les consignes, avec simplicité, n’hésitant pas à demander un avis parfois, par exemple à propos d’un décor qu’elle griffonnait sur un bout de papier.
Quand elle se mettait au piano pour enchanter un visiteur, son jeu puissant et généreux emplissait toute la Villa.
Intimidante et imposante, elle nous semblait appartenir à un autre monde : il ne me serait pas venu à l’idée d’aller trouver refuge dans se bras. Nous, les enfants, ne lui étions pas indifférents, mais elle ne paraissait pas consciente de nos besoins ou sans doute l’était-elle, car nous ne manquions de rien, du moins sur le plan matériel : elle veillait à déléguer notre surveillance auprès des tantes, des « grandes » ou de ses aides dévouées.
Je ne me souviens pas d’une conversation avec Bonne-Maman, peut-être parce qu’elle m’intimidait trop pour l’aborder.
Quand elle nous adressait la parole, c’était pour demander un service, et là, pas question de refuser : qui n’a pas été à la recherche de ses lunettes, toujours dans un endroit improbable ? Ses demandes n’étaient pas toujours adaptées aux capacités d’une jeune enfant : je me souviens de ma honte, quand on m’a fait remarquer avec ironie que j’avais servi du cognac à l’invité du jour (M. X, représentant des Galeries ) dans un verre à orangeade. Ou encore de la panique qui m’a saisie, quand il a fallu remplacer Bonne-Maman au pied levé pour enseigner la catéchisme : « tu n’as qu’à leur faire réciter la Miche de Pain »…
Les rares attentions de sa part étaient reçues comme des grâces et témoignaient de sa bienveillance, malgré la distance dont elle faisait preuve habituellement.
Ainsi, je me suis retrouvée dans l’intimité de sa chambre, de sa salle de bains, et même de son lit, alors que j’étais fiévreuse. Elle avait même essayé – très maladroitement – de prendre ma température…
Je la revois, campée sur son bidet, toutes portes ouvertes, donnant des ordres, gardant une égale dignité dans toute circonstance.
Parfois, quand j’étais seule à la Villa, elle m’emmenait à l’atelier de peinture, me donnant un morceau de terre à modeler, ou une assiette à décorer, sous le regard amusé des ouvrières.
J’étais fière de découvrir l’usine, son monde, et le rôle qu’elle y tenait.
Fière, quand elle dirigeait la chorale à la Villa ou à l’église.
Fière, quand elle marquait un point sur le curé, entonnant la réplique à sa place alors qu’il tardait à le faire. Elle abrégeait ainsi les interminables suites de « Flectamus genua », et « Levate » du Vendredi Saint, ce qui n’était pas pour me déplaire.
Quand elle s’est déplacée à Paris pour ma première communion, j’ai éprouvé aussi de la fierté et surtout le sentiment que je comptais pour elle. Détachée de ses obligations habituelles, elle s’est montrée attentionnée. Une anecdote qui révèle son étourderie légendaire me l’a rendue plus proche : alors que toute la famille sortait de l’appartement en tenue de cérémonie, elle déclara qu’elle avait oublié de mettre sa culotte : « aucune importance, dit maman, personne ne le verra ».
Au delà de ces anecdotes, l’image que je garde de Bonne Maman est celle d’une femme battante, inspirée et droite, qui a su affirmer sa personnalité libre et indépendante à une époque où la plupart des femmes vivaient dans l’ombre de leurs maris.
Pourquoi reine ? Je ne l’ai jamais perçue comme telle, car malgré son autorité naturelle, elle s’adressait à chacun avec simplicité, d’égal à égal. Si elle « régnait » sur sa famille, le village et l’usine, c’était par son charisme et son énergie rayonnante, sans recherche de pouvoir, de gloire ou d’intérêt personnel.
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Jacqueline Damongeot
vUn soir, Madame Moisand rentre de l’usine et dit à maman (Madeleine Damongeot avait pris la suite d’Eva aux cuisines) :
“ Madeleine, Mr Schroeder vient dîner, une fois de plus sans prévenir à l’avance. Ne vous inquiétez pas, y mangera ce qu’y a !
(ce dernier était le directeur des ventes export, lesquelles s’étaient fortement développées sous son impulsion)
- Eh oui, c’est Mr Schroeder qui arrive, dit celui-ci, qui a tout entendu, mais que Madame Moisand n’avait pas vu venir, … et en plus avec une grosse commande !
- Ah, Mr Schroeder, j’étais juste en train de dire à Madeleine de préparer un bon repas parce que vous veniez dîner”.
Cela arrivait souvent à Madame Moisand de faire une bourde et de chercher à se « rattraper » ensuite comme si de rien n’était.
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Catherine Moisand Thomas
Souvenirs de petite fille d’une grand mère que j’aimais beaucoup !
Quand nous allions à la messe à Longchamp et que nous les filles ( j’avais peut-être 8/10 ans ) voulions aller communier et que nous n’avions rien sur la tête (foulards ….), ce n’était pas correct ! Plusieurs fois Bonne Maman m’a posé son mouchoir en dentelle sur la tête ! Je me suis retrouvée aussi quelques fois à l’arrière de sa Frégate (la voiture d’Hélène dans les années 1950-60) avec elle … et quelle surprise : Bonne Maman sifflotait des airs divers ! J’adorais cette Grand Mère sifflant « comme un homme » ! Toujours à cette époque : elle est venue à ma communion solennelle à Besançon et m’ a offert un missel avec mes initiales imprimées en or : c’était superbe ….et c’était un cadeau d’autant plus émouvant qu’elle est décédée peu de temps après !
Quand nous arrivions chaque dimanche à Longchamp pour le déjeuner , et que nous lui disions bonjour, j’ai eu , comme d’autres certainement , les joues coincées dans sa main dans l’attente d’un baiser, mais je pouvais rester ainsi une ou deux minutes (ça semblait long , en tous cas !!!) pendant qu’elle saluait quelqu’un d’autre !
Annie Bernard Andrier
1946-1963 quelques souvenirs
Une période fantastique où la Reine, humaniste passionnée des arts, et en particulier musique, peinture, céramique fit de son château, «la Villa», un domaine ouvert sur le monde, attirant responsables politiques, acheteurs de faïence de qualité venus de loin; famille et amis.
Une Reine qui n’hésitait pas à recevoir ses proches dans ses appartements de bains pour la toilette du soir sans que ce soit jamais impudique, privilège royal !
Sa belle prestance, une autorité naturelle jamais écrasante, le merveilleux sourire qui illuminait son visage faisaient d’elle une souveraine rassurante et bienveillante toujours à l’écoute de ses administrés. Sans déployer de leçons de morale ni formuler de jugements, elle savait entendre le désarroi des filles-mères un moment égarées dans les bois de Longchamp ou la peine d’un ami divorcé mal accueilli dans sa paroisse.
Personnalité marquante reconnue de tous, elle a su mettre sa créativité au service de ce village qu’elle aimait passionnément : autorité morale pour la paroisse, elle veillait à l’organisation du catéchisme aussi bien qu’aux détails de la liturgie. Elle créait des emplois pour son atelier de peinture.Elle était présente sur tous les fronts.
Mystère des relations mère-fille
Il est arrivé à la Reine de me confier qu’elle appréhendait la venue de Christiane, comme si elle ne se sentait pas à la hauteur des attentes de sa fille.
Et pourtant…elle réagissait toujours au premier coup de fil d’appel au secours de notre mère : par exemple elle envoyait une voiture chercher une partie de la tribu pour des vacances à la villa , plus tard elle acceptait sans hésiter de se charger de l’organisation des mariages de Nicole et Annie à Longchamp, très lourde tâche même avec un peu de personnel!..
Enfin des souvenirs de petite-fille
En avril 1946 nos parents déménageant de Bordeaux au Creusot m’avaient installée pour un trimestre à la Villa ; mauvais début de ce séjour puisqu’au retour de Dole en fin de soirée je suis tombée de la voiture conduite un peu rapidement par oncle Marcel…Je dois à la vigilance et la réactivité de Bonne-Maman de ne pas avoir eu le visage définitivement tatoué par le goudron du macadam ; elle m’a installée sur la table de la cuisine sous une lumière puissante et a intimé l’ordre à son précieux Docteur Charbonneau de m’éplucher le visage au scalpel pendant une partie de la nuit tout en bandant les côtes cassées.
Alors que j’étais alitée dans sa chambre pendant plusieurs semaines cette grand-mère pourtant fort occupée a veillé sur moi avec tendresse et vigilance. J’ai partagé souvent le lit de Bonne-maman (1,10 m) et nous nous endormions en roulant sur les gros grains de son chapelet après avoir échangé quelques confidences. J’étais impressionnée par sa fidélité à la prière même au terme de longues journées de travail.
C’est ainsi que la veille de mon mariage elle me transmit certains secrets de la «nuit de noces» qui m’attendait mais j’en resterai là….
Je garde d’elle ce grand plat à poisson du service Moustiers de notre mariage dont elle dessina le motif à main levée sur le biscuit posé sur la table du fumoir devant moi.
Simplicité, aisance, talent, mais aussi tendresse , telle fut pour moi Bonne-Maman.
Philippe Moisand
Photo de titre : Hélène, ses deux dernières filles, Marie-Thérèse portant dans ses bras son premier enfant, Jean-François, et Mamie…et la première Frégate de la Reine – Autriche 1952
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“Ils étaient ravis de nous voir”
Cela se passait pendant l’été 1961. J’avais alors 22 ans et mes études supérieures me laissaient assez de temps libre pour effectuer diverses missions au service de l’entreprise familiale et surtout de Bonne Maman, toujours à la recherche d’un chauffeur pour la conduire aux quatre coins de la France.
Une partie de la famille avait loué une maison de vacances au Guilvinec, dans le pays bigouden. Bonne-Maman y avait rejoint ses deux dernières filles qui avaient pris le relais de mes parents.
Je ne me souviens pas comment elle était arrivée là avec sa Frégate « transfluide », mais il lui fallait un chauffeur pour lui permettre de poursuivre son périple estival vers les Pascatins où elle devait retrouver ses deux ainées, Yvonne et Christiane, avant de rentrer sur Longchamp. J’étais bien sûr tout désigné.
Nous voilà donc partis pour ce long périple transversal, sur des routes déjà encombrées et peu roulantes. Mais il faisait beau et j’avais le plaisir d’avoir avec moi, et pour moi seul notre chère grand-mère. Nous avons fait étape à Ganat, près de Vichy, avant de reprendre la route … pour Aix les Bains. Bonne-Maman venait de se souvenir que notre représentant au Maroc, M. Bitoune y passait ses vacances en compagnie de sa famille et qu’il l’avait invitée à venir l’y retrouver, sans plus de précisions.
Quelle ne fut pas la surprise de la famille Bitoune de nous voir arriver sans prévenir sur leur lieu de vacances à une heure déjà très avancée, alors qu’elle avait déjà fini son repas de midi. Branle- bas de combat pour nous préparer une petite collation dont les effluves magrébins se répandaient jusque dans la cage d’escalier de l’immeuble. Conversation à bâtons rompus au cours de laquelle le frère Bitoune nous a longuement fait part de ses gains au casino d’Aix.
Il nous fallut quand même reprendre la route pour retrouver la famille aux Pascatins. C’est en quittant les Bitoune que Bonne-Maman y alla de son habituel « ils étaient ravis de nous voir ». Le comble, c’est que je suis persuadé qu’elle avait raison.
La foi d’une Charbonnier
La foi du charbonnier qui habitait complètement Bonne-Maman ne l’a pas empêchée d’être, elle aussi, saisie du doute métaphysique à la veille de sa mort. « Je L’ai tellement prié. Ce n’est pas possible qu’Il ne vienne pas me chercher » confiait-elle, comme pour se rassurer, à ceux d’entre nous qui étions venus lui dire au revoir.
Comment régler les notes de boucherie ?
Je ne sais rien des arrangements financiers qui pouvaient exister entre Bonne-Maman et la Société des Faïenceries de Longchamp dont elle était la Présidente. Sans doute, la cloison n’était-elle pas très étanche entre leurs portefeuilles respectifs, ne serait-ce que parce que la villa servait aussi bien à faire fonctionner la cantine d’entreprise et à recevoir de nombreux visiteurs professionnels (acheteurs de grands magasins, représentants, fournisseurs, etc.) qu’aux nombreuses réceptions familiales dont Bonne-Maman n’était pas avare.
Le fait est en tout cas que Bonne-Maman se reposait certainement, au moins pour partie, sur la caisse noire constituée par la vente de la vaisselle de second choix confiée aux bons soins d’Emile Gay. Mais celle-ci n’était pas toujours au niveau des coûts de fonctionnement de la villa et l’argent liquide vint parfois à manquer lorsqu’il fallait régler les fournisseurs.
C’est ainsi qu’à la fin d’un été particulièrement chargé en réceptions de tous ordres, Bernard Bathelier présenta sa note de boucherie à Bonne-Maman qui se trouvait alors à court de liquide. “Qu’à cela ne tienne Bernard, tu accepteras bien que je te donne un pré aux lieu et place d’argent sonnant et trébuchant”. La note fut effacée, Bernard Bathelier se comporta comme le nouveau propriétaire dudit pré, mais on oublia de passer devant notaire pour valider le transfert de propriété. Ce n’est qu’après le décès de Bonne-Maman que la situation fut régularisée après que Bernard Bathelier, un peu confus, s’en fut ouvert à Robert.
L’histoire ne dit pas comment tout cela fut reflété dans les comptes de la société. Henri Verrière qui était en charge de ces questions a dû s’en arracher les cheveux.
Mamie Moisand Martin
La mort de Maman
Alors que Maman n’avait plus de pouls, après avoir vu une à une les personnes du village qu’elle avait fait appeler à son chevet, elle a fait le sacrifice de sa vie devant une partie de ses enfants et petits-enfants présents ce jour-là, à qui elle a fait des recommandations personnelles. Se tournant vers moi, elle me dit : « Je t’ai souvent dit que j’avais peur de la mort, eh bien, c’est merveilleux, cette envolée vers le ciel ».
Contre toute attente, elle était toujours vivante le lendemain matin, elle me dit alors : « il va falloir tout recommencer ».
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Gaëtan Moisand
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La mort de Bonne-Maman
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In paradisum deducant te Angeli
Que les Anges te conduisent au paradis
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Il m’arrive parfois d’écouter le Requiem de Fauré, notamment le final « In paradisum », et de repenser alors aux derniers moments de Bonne-Maman sur terre, qui sont restés à jamais gravés dans ma mémoire. Gabriel Fauré parlait ainsi de son Requiem : « On a dit qu’il n’exprimait pas l’effroi devant la mort. Mais c’est ainsi que je ressens la mort, comme une délivrance heureuse, plutôt que comme un passage douloureux ».
C’était un vendredi de juin 1964. Bonne-Maman avait déjeuné avec son petit-fils, Jean-Pierre, à la Villa, puis était repartie à l’usine, comme tous les jours depuis si longtemps. Vers la fin de l’après-midi, elle eut une attaque cardiaque à son bureau, voisin de l’atelier de peinture, « son » atelier. Elle avait eu déjà une alerte sérieuse dans les mois précédents et n’avait pas trop écouté son médecin , qui lui conseillait de lâcher prise au travail.
On la ramena à la Villa (qui ? comment ?… je ne sais plus), on renonça à la monter dans sa chambre et on dressa son lit dans le grand salon près de la cheminée. Encore consciente, Bonne-Maman reçut des personnes du village et de l’usine qu’elle avait fait appeler, puis arrivèrent les uns après les autres ses enfants et petits-enfants présents à Longchamp et à Dijon. Comme Jean-Pierre, je venais de finir ma première année universitaire, j’étais donc à Longchamp chez mes parents.
Il peut paraître étrange aujourd’hui qu’elle n’ait pas été transportée en urgence à l’hôpital de Dijon, mais c’était ainsi à l’époque. Au vu des mines graves des médecins présents qui se concertèrent dans un coin du hall, on ne pouvait pas avoir de doute sur l’issue.
Bonne-Maman paraissait pourtant sereine, apaisée, elle était très présente au milieu des siens qui l’entouraient et parvenait à parler suffisamment fort pour que nous l’entendions tous :
« Pourquoi pleurez-vous ? Réjouissez-vous, je souris ».
Oui, c’est vrai, elle souriait, nous la sentions déjà en route pour le ciel, ce qu’elle confirma elle-même en parlant en aparté à Mamie. Et c’est à une agonisante (encore très vivante !), qu’on le devait. En ce moment de grâce, nous avons tous eu, je pense, le sentiment de l’accompagner au paradis.
Bonne-Maman dit un mot à tous, les adultes d’abord, les plus jeunes ensuite. Quand fut venu mon tour, elle me dit : « tu dois te montrer digne de ton grand-père dont tu portes le prénom ». Je ne sais plus ce que j’ai bredouillé, j’ai dû acquiescé, en me demandant comment y parvenir, Gaëtan senior ayant acquis dans la mythologie familiale un statut quasi-divin.
Au cours de la soirée, les médecins présents s’inquiétèrent de la difficulté de plus en plus manifeste de Bonne-Maman à respirer. Après concertation avec ceux-ci, mon père fit venir de l’usine une bonbonne industrielle d’oxygène qu’on installa contre le lit. On alimenta notre grand-mère avec un tuyau relié à la bonbonne. Incroyable, mais vrai ! La question la plus délicate à régler fut de bien doser le débit. Il me semble que Bonne-Maman au moins pendant un temps s’en trouva plus à l’aise.
Cette veillée dura longtemps, sans être vraiment funèbre grâce à Bonne-Maman, même si nous pressentions tous que la fin était proche. Je pense que nous serions restés longtemps encore auprès d’elle, si un adulte n’avait proposé d’y mettre fin et d’instaurer un tour de garde. Bonne-Maman n’est pas morte cette nuit-là, elle eut encore des moments de lucidité et put parler, à Mamie notamment comme celle-ci le relate dans son témoignage.. Au fil des heures qui passaient, je repris confiance et crus fortement à sa guérison (étais-je le seul ?). Si bien que l’annonce de sa mort le mardi suivant au petit matin fut terriblement douloureuse.
Nous, ses petits-enfants, n’avions sans doute jamais pensé qu’elle pouvait disparaître tant elle était présente dans nos coeurs et dans nos esprits. Le monde de notre enfance s’écroulait soudain. Mais il en fut peut-être de même pour ses enfants, les ouvriers de la Faïencerie et tous les habitants du village et des environs.
Ainsi disparut le dernier enfant de Robert et Caroline Charbonnier, près de 100 ans après l’installation de ceux-ci à Longchamp, le rachat de la petite Faïencerie de l’époque que son père avait su développer et qu’elle chérissait.
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Marie-Hélène Duffour Froissart
Le texte qui suit n’est pas un témoignage à proprement parler : Marie-Hélène l’avait déjà écrit avant le lancement du présent numéro. Il a cependant toute sa place ici.
vMa mort
Mon pied me brûle, me pique, me taraude… Je veux le secouer. On me retient, on m’emprisonne.
Je crois que j’ai beaucoup dormi. Mes paupières restent lourdes. Je tente un gros effort pour les soulever. Je ne comprends pas. Je dois rêver. Je suis dans mon lit… au salon. C’est bien cela. Mon grand piano au fond à gauche, les jardinières de pétunias sur le rebord des grandes fenêtres. Je ne comprends pas… Un fil jusqu’à mon pied. Je remonte le fil et arrive au flacon. Je dépasse le flacon et découvre un grand barbu en blouse blanche qui pique, pique, abîme mon pied. Je ne peux ni crier, ni parler. C’est comme si ma gorge était absolument sèche. A côté du barbu, ma fille Yvonne. On dirait qu’elle l’aide à me piquer le pied.
Ils me regardent. Ils ont compris que je me réveillais. Ils me caressent le front. Ils murmurent à mes oreilles. Je ne sais pas si je rêve encore. C’est bon de voir les rais de soleil à travers les persiennes fermées. Je voudrais savoir l’heure, le jour, et… mon plat , mon magnifique plat bleu et blanc, mon plat rond dont j’attends la sortie du four… qu’ont-ils fait de mon plat ? Je veux parler. Ils ne m’entendent pas. Je referme les yeux. Je suis si fatiguée.
Je suis revenue à la vie. Ils me disent que j’ai été imprudente. Je n’aurais jamais dû traverser l’usine brûlante et attendre au bord du four torride, la sortie de mon plat. C’est égal. Ils me l’ont apporté avec un sourire de triomphe. Leur admiration est sincère. C’est ma récompense. J’ai passé tant d’heures sur cette pièce aux contours difficiles, sur ces grotesques enlacées, sur ces fleurs insolites et sur ce camaïeu insaisissable. Je le caresse. L’émail est tendre sous ma main moite. Je peux être satisfaite.
Je suis toujours dans le salon. Je ne demande pas pourquoi. Cela n’a aucune importance. Ce qui est important, c’est de pouvoir communiquer, leur dire ce qu’il reste à faire, il y a tant et tant à faire – les rassurer aussi -. Pourquoi ont-ils cet air inquiet ? je vais bien. Je suis légère, légère… depuis quand n’ai-je pas mangé ? Ils me mouillent les lèvres avec un mouchoir. Je dirai à Madeleine de cuire un pot-au-feu : le bouillon en est toujours délicieux et c’est ce qu’il me faudrait.
Ils ont mis des roses pompon sur le piano. Il y a déjà des roses pompon ? Mais alors… Nous sommes au mois de juin ? C’est à la fin du mois de juin qu’a lieu l’exposition ? Il faut que je leur explique. Si je ne suis pas remise pour y aller, j’enverrai Yvonne à ma place. Elle conduira ma « Frégate » et se fera accompagner par des enfants. Elle aime beaucoup me servir de chauffeur. Jean-Pierre n’est-il plus là à réviser son examen ? Il consacrera quarante-huit heures à sa mère. Ma petite Mamie, ma petite dernière, me tient la main. Elle n’est jamais si tendre avec moi. Je ne suis pas dupe. Ils me croient mourante. Mais je vais bien. S’ils pouvaient savoir comme je suis légère, légère…
Ma voix revient doucement. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous… maintenant et à l’heure de notre mort… J’ai retrouvé ma voix et mon grand chapelet noir. Je suis sauvée. Sainte Marie… Tous les soirs de mon existence je me suis endormie en égrenant ces perles, tous les matins, je retrouvais mon chapelet au fond du lit pour la joie de mes petits-enfants. Sainte Marie… à l’heure de ma mort… déjà ? Mais je n’ai rien fini ! Il faut absolument aller à cette exposition,,, avec le plat… Ma petite-fille Elisabeth se marie en juillet. Ici. A la villa. Comme les autres. Sainte Marie… Un peu de temps, s’il vous plaît. Après le mariage, ils se succèdent ici tout l’été. Ils n’ont rien prévu d’autre.
Mylène arrive avec son bébé Florence en attendant de trouver un appartement. Jean-Pierre révise ses examens. Marcel et Charles viennent dîner après leur partie de tennis. Christiane laisse Bruno et Antoine pour aller faire sa croisière. Je n’ai personne pour organiser le voyage de la chorale. Lucerne n’est pas si loin. Je dois pouvoir y aller…
« Ne bougez pas, Madame, chuchote le grand barbu. Votre perfusion ne s’écoule plus. »
Et ma petite Marie-Thé ? C’est au mois d’août qu’elle veut que je les accompagne en Bretagne ?
Ils ont tout à fait tiré les lamelles des persiennes. Ils partent sur la pointe des pieds. Un silence épouvantable s’est abattu sur la maison. Ce n’est pas ordinaire. Je n’ai même pas entendu la sirène de l’usine. Se peut-il qu’ils aient été jusqu’à la museler ?
Je ferme les yeux. Je les ouvre.
Ils ont poussé un fauteuil à hauteur de mon visage. Quelqu’un s’y est assis. Le visage dans les mains. Il dort ? Ou il pleure ? C’est Henri, mon Lili.
« Ne pleure pas, même si je m’en vais. Tu sais ce qu’il te faudra faire pour continuer. Il faut continuer. Tu es l’aîné. Tu devras t’arranger avec les partages. Je n’ai ni prévu, ni organisé. Je me suis crue éternelle. Tu feras de ton mieux, mon Henri, pour tes frères et sœurs, et pour les ouvriers. Je t’ai toujours fait confiance. Je continuerai à te porter de là-haut. Nous nous comprenons si bien. Tu n’as plus besoin de moi. Je t’ai tout dit, tout montré. Ton épouse te chérit. Sois heureux comme je l’ai été, dans le dynamisme d’une époque où tout devient plus facile.Nous avons eu nos épreuves et nous en sommes sortis. Mon départ n’est pas une épreuve, juste un tournant. »
Il me prend la main après s’être mouché doucement. Il m’effleure la joue et je ferme les yeux pour ne pas céder à l’émotion.
Une silhouette menue s’encadre dans la porte. Je la devine intimidée. Je soulève, non sans difficulté, mon bras prisonnier d’une perfusion et, du bout de mes doigts encore libres, l’invite à s’approcher.
« Maimaine ! Tu es venue… Merci. Le plat est magnifique ! Tu l’as vu bien sûr ? ». Elle hoche la tête. « Maimaine, c’est peut-être la dernière pièce de notre travail en commun, la plus belle sans doute. Tu vas poursuivre. Tu connais tout de l’atelier de décoration. Je te fais entière confiance. Il te faudra davantage de fermeté pour faire avancer les ouvrières. Mais tu sauras. » Elle me regarde fixement. Nous touchons au moment des adieux ; c’est difficile de laisser tous ceux qu’on aime, tout ce pour quoi on a vécu. « Germaine, dis-leur mon affection, dis-leur que je pars heureuse. Nous avons bien travaillé. Nous pouvons en être fières. » Elle a essuyé une larme au bord de sa paupière, s’est penchée pour m’embrasser et me murmurer sa touchante fidélité et, discrètement, est partie sur la pointe de ses petits chaussons noirs
Je mesure le peu de temps dont je dispose encore et je fixe les priorités :
« Jacqueline, ma petite Jacqueline, vingt et un ans côte à côte, élève docile, consciencieuse, douée, fine, si fine dans ton approche des pinceaux… Je t’ai montré les filets, puis les écailles, les tiges des fleurs, les pétales, le cœur et les personnages. Jacqueline, il faut te le dire, approche-toi plus près : je t’ai aimée autant que mes filles, je t’ai choyée plus que mes filles. Le lien qui nous unit me relie à mon enfance puisque mon père fut le parrain de ton arrière-grand-mère. Tu as cherché longtemps de quel père inconnu tu étais née et j’ai tout fait depuis peu pour que tu le devines. Mais nos propos sont restés à la mesure de ta discrétion.Jacqueline, tu accompagneras la solitude de ta mère dans sa vieillesse et tu te donneras au village comme tu me l’as vu faire. Je n’ai même pas besoin de te le dire. Tu me regardes avec tant de chagrin que tu vas me faire pleurer. Appelle-moi Paulette. Nous parlerons de la chorale et de ma messe d’enterrement. »
« Paulette, il faut faire chanter les jeunes, élargir notre chœur, organiser inlassablement les répétitions et assurer les offices. Il faut garder les fêtes et les voyages qui jalonnent le calendrier. Prends ma place à l’harmonium quand ma fille Yvonne s’absentera. Tu en es capable. Joue pour moi avec tout ton cœur. J’ai eu tant de joie à vous former, à vous accompagner. Je te passe la main. » Elle a dit oui de la tête, gorge trop serrée pour parler. Elle est partie sans se retourner, écrasée par tant de confiance.
Une ombre derrière la porte vitrée – silhouette trapue – André – mon ami André – ses yeux bleus – la limpidité de ses yeux et son franc sourire. Il pleure. Il dit : « merci ! merci ! »
« Je n’ai rien fait, André. Tu étais, tu restes ici chez toi. Je le lui ai dit et répété au père Foutelet que la position de l’église à l’égard des divorcés était trop dure. » Il sanglote, pose sa tête au bord du lit et me dit à voix basse : « je n’oublierai jamais nos dîners en tête à tête, nos soirées d’hiver, nos discussions dans le fumoir, votre accueil, votre amitié, votre affection, votre courage et votre mépris du ‘‘qu’en dira-t-on ?’’. Après le départ de mon épouse, vous m’avez traité comme votre fils. Merci. » Il se redresse et je l’entends murmurer : « je perds ma seconde maman. »
Libérer l’émotion qui m’envahit, laisser déborder le trop plein en un sanglot non contenu et s’agripper aux grains du chapelet, rejoindre par la pensée mon époux – Gaëtan – parti depuis une vingtaine d’années, lui demander de l’aide après l’avoir porté pendant ses années de souffrance, devenir humble et dépendante, accepter ma dépendance, offrir tout ce que je laisse inachevé et accepter de le laisser inachevé, ne pas chercher à organiser la suite, leur faire confiance et leur demander de prier pour moi, s’abandonner, se laisser embarquer avec sérénité et surtout ne pas quitter les grains de chapelet.
Je m’enfonce. Je tombe. Je tombe au fond du trou. J’étouffe. Je voudrais boire. Je voudrais une main qui me caresse. Je voudrais caresser mon piano encore une fois.
C’est fini, le plus dur est accompli. J’entrouvre les paupières aux lueurs de l’aube. Ils m’entourent de leur affection. Ils sont tous au rendez-vous, leurs yeux rougis par la veille et le chagrin.Je rassemble ce qui me reste d’énergie pour un sourire rassurant et je m’entends leur dire :
« Tout va bien… Comme j’ai dormi ! »
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Plus loin dans ce bulletin, dans la rubrique « documents », vous pouvez lire les articles de la presse locale à la suite du décès de Bonne-Maman et l’oraison funèbre de l’abbé Foutelet, curé de Longchamp.
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Les oeuvres d’Ellen
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Ellen, c’est le nom d’artiste que s’est donnée Hélène. Sans doute à ses yeux, ce titre d’artiste lui paraîtrait usurpé tant elle a su rester simple vis-à-vis de ses créations. Disons que c’était sa signature personnelle lorsqu’elle n’oeuvrait pas pour la Faïencerie.
Elle a peint des aquarelles sous cette signature, dont beaucoup ont été préservées et conservées par ses descendants. Elle a aussi signé des céramiques dont les plus connues sont les vases égéens.
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Aleth Duffour Levrey
La légende veut que cette aquarelle ait été composée par notre grand-mère alors qu’elle accompagnait la famille Duffour en excursion sur les châteaux de la Loire.
C’est un souvenir vivant. Au milieu des faïences et photos, sa place dans notre salon la fait participer à notre vie de tous les jours.
Gaëtan Moisand
Je connaissais la signature d’Ellen depuis fort longtemps car mes parents possédaient 2 ou 3 aquarelles signées par elle. Mais je pensais qu’Hélène l’avait utilisée exclusivement pour signer ses aquarelles.
Ce fut donc une grande surprise il y a une dizaine d’années de voir apparaitre sur un site internet de vente aux enchères le vase, présenté ici, signé Ellen.
Les enchères furent difficiles, j’avais un concurrent dont j’ai toujours soupçonné qu’il était de la famille ! Mais tellement désireux d’acquérir cet objet surprenant, j’ai gagné l’enchère. J’en fus très heureux car je ne connaissais pas cette facette du talent de Bonne Maman, je n’avais jamais vu rien de semblable la concernant et personne ne m’avait dit qu’elle avait réalisé des œuvres originales style art nouveau 1930, tendance expo coloniale.
Mamie Martin que j’ai interrogée peu après cette acquisition m’a détrompé à ce sujet en m’écrivant qu’ Ellen les appelait ses vases égéens : « Je la vois encore dessinant ces vases en tirant la langue, comme lorsqu’elle se concentrait. La réalisation de ces pièces était très longue et difficile à faire. C’était, je crois dans les années 48 ou 50. »
Depuis lors, j’ai acquis quelques autres pièces de la même veine, et avec l’Association Longchamp d’Antan, nous avons pu, lors de l’Exposition de faïences à la Villa en octobre 2018, dresser une table composée exclusivement de vases égéens d’Ellen.
Mais c’est toujours ma première acquisition qui a ma préférence, peut-être parce qu’Ellen a réussi la parfaite adéquation entre forme et décor, peut-être aussi parce qu’elle me permet de préserver mon intuition initiale sur les sources pas exclusivement égéennes à mon sens, mais aussi art déco, qui ont inspiré notre grand-mère.
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Deux articles du Chardenois »Signé Ellen », bulletin n° 3 ** oct. 2009 ** et « Signé Ellen (2) », bulletin n° 13 ** avrl 2013 ** , présentent plusieurs aquarelles et vases égéens signés par Ellen.
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Daniel et Gaëtan Moisand
Ce plat est une oeuvre commune à Hélène et Robert Picault qui en ont fait cadeau à Yvonne Guyot Moisand. Celle-ci a vu Robert Picault « tourner » ce plat. C’était à Longchamp dans les années 50. Mais elle ne se souvenait plus qui l’avait décoré : R. Picault a peut-être repris, en forme d’hommage, un motif cher à la Reine, puisque c’est un décor de l’un de ses vases égéens, ou peut-être est-ce cette dernière elle-même qui a décoré ce plat ? Au fond, peu importe : ce plat est bien une œuvre commune, il aurait pu être signé Ellen/Picault.
C’est une bonne illustration pour ce qui suit : un extrait des mémoires de Robert Picault. Cet extrait et d’autres encore, communiqués gracieusement par sa fille, Anne Aureillan, ont fait l’objet d’une parution dans le bulletin du Chardenois n° 9 ** sept. 2011 ** . Dans cet extrait, Robert Picault qui succèdera à Hélène en tant que directeur artistique de la Faïencerie en 1965 dépeint sa première venue à Longchamp et sa rencontre avec la Reine. Nous sommes en 1953 :
« Un acheteur des Galeries Lafayette de Paris, Mr Drouin, était devenu un ami. A chaque fois qu’il venait à Vallauris nous l’emmenions manger une bouillabaisse au “Bastion” à Antibes. Lorsque je le voyais à Paris, il me traitait de la même façon. Notre chiffre d’affaires avec les Galeries Lafayette était important.
Un jour il me dit: “Pourquoi ne feriez-vous pas des modèles pour les Faïenceries de Longchamp, ils ont vraiment besoin d’un sang nouveau, seriez-vous d’accord ?” “Oui”, répondis-je, et il décrocha son téléphone. Le lendemain j’avais rendez-vous à Longchamp avec la grande patronne des Faïenceries, Madame Moisand, nommée affectueusement par les siens : la Reine.
J’étais reçu à la Villa et nous déjeunions en tête à tête dans la petite salle à manger, servis par les deux cuisinières qui nous préparaient des plats exquis. La Reine gourmande de détails me fit raconter ma vie, et me félicita de mon parcours. Elle aussi me relata des moments de sa jeunesse dorée, puis l’arrivée de ses huit enfants, puis la guerre de 1914 où, son mari étant parti se battre, elle fit tourner l’usine toute seule, enfin l’infirmité et la mort de son mari. C’était une femme de caractère. Elle vivait seule maintenant, mais très entourée par ses enfants. Un dimanche, nous avions déjeuné dans la “grande salle à manger”, nous étions vingt. La table était présidée par le curé du village qui avait un accent bourguignon à couper au couteau. Les fils et filles de la Reine (ils n’étaient pas tous là) flanqués de leurs épouses et époux avaient amené leurs enfants qui mangeaient dans le hall. C’était une joyeuse assistance qui divertissait beaucoup la Reine. L’après-midi l’une de ses filles se mettait au piano. Au début elle jouait Mozart, mais ensuite pressée par ses frères elle jouait des chansons à boire que tout le monde reprenait en chœur. Je baignais avec plaisir dans cette ambiance chaude et amicale ».
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vPhotos et dessins
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Dessins

dessins de Robert Charbonnier
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Photos
Les photos d’Hélène présentées dans ce numéro spécial, celles qui ponctuent chacun des témoignages de ses petits-enfants et celles que l’on peut voir ci-dessous proviennent des fonds d’archives de chacune des branches de la famille Moisand. Elles ont été collectées notamment à l’occasion de la cousinade de 2010 et pour ce numéro spécial.
Certaines d’entre elles sont certainement connues d’un grand nombre de ses descendants, mais d’autres comme beaucoup de celles présentées dans ce chapitre sont inédites. Nous les avons retenues même si leur qualité technique n’est pas très bonne en raison de leur attrait documentaire. Les trois premières proviennent des albums photos de Robert Charbonnier, la quatrième d’un album d’Eugène Bercioux.
Hélène sur les genoux de sa mère, entourée de ses 2 grandes soeurs, Henriette et Juliette. A gauche son père, Robert, dressant son nouveau chien de chasse (photo prise vers 1896 par son frère, Edouard, à proximité du chalet, la nouvelle demeure de la famille)
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Hélène et sa mère (vers 1896)
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Page d’un album de photos des mêmes années : Hélène ou l’innocence, à gauche.
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Hélène, à droite, devant le pavillon du Breuil à Longchamp, maison de vacances achetée par Eugène Bercioux et sa femme Claire Charbonnier (vers 1900)
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Hélène et sa mère : départ du chalet en carriole (vers 1905)
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Hélène, Gaëtan et leurs 7 premiers enfants (1931)
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Hélène avec Babeth (Moisand Gresset) et Pierre Moisand à gauche , avec les 4 enfants « Robert », Gaëtan sur ses genoux, Pierre, Babeth et Philippe à droite – Autriche 1952
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Jean-Claude Moisand , le jour de sa communion, avec sa grand-mère Moisand et son grand-père Guyot - Enghien-les -Bains, 1955
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Hélène, la Frégate, Antoinette Pruvost et Denise Duffour Moisand – en Provence, septembre 1957
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Hélène dans “son” atelier de peinture (fin années 1950)
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Hélène avec son fils Henry, à gauche, et le Préfet de Côte-d’Or – Remise de médailles du travail, fête de Saint-Antoine de Padoue, juin 1959
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Hélène dans son atelier, début années 1960
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Documents
Les documents présentés ici proviennent d’Anne Moisand Couturier ( extraits de presse lors du décès d’Hélène et oraison du curé de Longchamp, la légion d’honneur), Daniel et Geneviève Moisand (le texte sur la rencontre entre Hélène et Gaëtan, l’acte de naissance, l’acte de mariage), Gaëtan Moisand (les décors créés par Hélène, l’annonce des fiançailles et le menu de mariage, la légion d’honneur)
Les documents concernant Hélène ne sont pas innombrables.
Mais il en est un particulièrement précieux : les décors qu’elle a créés en grand nombre pour la Faïencerie entre 1936 et 1964, dont certains sont de vieux décors de la Faïencerie, qu’elle a « revisités », comme les Moustiers par exemple.
Ils ne sont pas signés « Ellen », car elle opère ici en tant que « directrice des ateliers de décors de la Faïencerie de Longchamp ».
Voici quelques-une de ses créations

A gauche, l’Agen, sans doute pas la plus belle création d’Hélène, mais ce décor aura un grand succès dans les années 1950-60. Pour preuve : c’est le décor que l’on rencontre le plus dans les sites de vente internet.
A droite une jolie création qui n’a sans doute jamais été commercialisée

Le décor Strasbourg inspiré du décor de cette petite soupière italienne (voir le bulletin précédent n°19)
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Réinterprétation assez libre (à droite) d’un décor ancien de la Faïencerie (à gauche)

Le Trianon de Robert Charbonnier des années 1900 et celui de sa fille (années 1950).
Hélène n’a pas revisité le vieux Trianon, la seule comparaison entre ces décors du même nom, c’est le thème floral. On peut mesurer ici la contrainte économique qui s’imposait à Hélène : le coût du coup de pinceau d’une décoratrice avait en effet augmenté en 50 ans. Malgré la contrainte, le Trianon d’Hélène est de très belle facture. A noter que le Trianon de 1900 est réalisé sur une forme rare, la forme Dubarry, utilisée également pour le service La Guérinière (voir bulletin précédent, n°19).
Quant au bouquet central du Trianon d’Hélène, c’est lui qui sert de ponctuation entre chacun des grands thèmes développés dans le présent bulletin.
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Trois Moustiers, le premier date des années 1920, les deux autres sont des interprétations assez fidèles de la main d’Hélène, le moustiers polychrome et le moustiers monochrome, dont le nom était je crois, le Viry.

Le Pérouges est une création qui a connu un grand succès, y compris aux Etats-Unis, à preuve cette page d’un magazine américain de décoration des années 1960, qui lui est consacré. Ce décor, tout en étant totalement inédit, s’inscrit dans la tradition de la Faïencerie et notamment des Moustiers : l’oiseau est posé sur une branche comme les personnages du Moustiers et l’environnement floral du Pérouges est comparable à celui de ce dernier.
la naissance d’une Reine
et son baptême (1886)


Le parrain est Eugène Bercioux, à la fois son oncle, officiellement, et son grand-père, officieusement (voir Bulletin n°18 ** décembre 2017 **)
Rencontre, fiançailles et mariage (1908)
Hélène fait la connaissance de Gaëtan au cours d’une réception organisée par son père et par Juliette Moisand, tante très mondaine de son futur époux. Cette réception a lieu au chateau d’Aiserey, proche de Longchamp
Ce château a appartenu à Claude Bossuet oncle de l’Evêque. Ledit château ayant été acheté en 1796 (après avoir été bien national) par Martin Lejeas.
La propriétaire du château est la comtesse Léjeas, née Hélène Marie Jurien de la Gravière, fille du Vice-Amiral du même nom et qui épousa en février 1877 à Paris Hugues René Martin, comte Lejeas (noblesse d’Empire)
C’est Juliette Moisand de Binos, soeur d’Horace et tante de Gaëtan qui est à l’origine du mariage. Il est en effet tout à fait certain que Juliette connaissait la comtesse Lejeas, qui avait le même âge qu’elle à deux ans près, puisque le comte Lejeas, le Vice-Amiral Jurien de la Gravière, et Horace Moisand sont témoins tous les trois à son second mariage avec Joseph Bonnefin en 1889 à Paris.
Côté Charbonnier, il est évident qu’en raison de la proximité de Longchamp et d’Aiserey, les deux familles se connaissaient. Le comte Lejeas avait été lieutenant de cavalerie ce qui pouvait lui créer des liens avec Robert, lui-même capitaine de cavalerie, et qui chassait à courre.
Au cours de cette réception, deux prétendants possibles, Hélène ne saura que le soir celui qui lui est destiné… Leur première conversation « intime » portera sur la cuisson des oeufs à la coque et leur premier désaccord sur le temps de la cuisson, ce ne fut cependant pas une entrave très importante car ils n’auront jamais à cuisiner eux-mêmes de leur vie !
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Une annonce dans Le Figaro pour les fiançailles, mais pas de faire-part, ni d’annonce dans la presse pour le mariage, pas de photos non plus (du moins aucune ne nous est parvenue à ce jour), juste le menu du repas de noces. C’est bien peu au regard de ces évènements et un peu étonnant. Les parents de Gaëtan sont “ non présents, mais consentants au mariage” selon l’acte de mariage. Horace et Marie-Thérèse sont séparés depuis plus de 10 ans au moment du mariage de leur fils. Leur absence explique peut-être qu’il n’y ait pas eu de faire-part, ni de photos (mais c’est pure hypothèse).
La Légion d’Honneur (1955)



La demande faite par Hélène sur carte de visite auprès du Grand Chancelier pour qu’il délègue ses pouvoirs à Mr Desmarquets en vue de son introduction au grade de chevalier ; les coordonnées de Mr Desmarquets dont on apprend ainsi qu’il est Directeur de l’Institut de Céramique Française ; un dossier de renseignements sur Hélène ; le Procès-verbal de réception au grade de chevalier de la Légion d’Honneur, signé par Mr Desmarquest et par Hélène ; et enfin le « parchemin » officiel daté du 5 mai 1955.
L’oraison funèbre (1964)
Abbé Foutelet, curé de Longchamp, le 18 juin 1964
la presse locale après le décès

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Un article récent : 30 octobre 2019
Gaëtan Moisand
Le titre de cet article prête à confusion, car l’exposition ne concernait pas qu’Hélène.
Il y a quelques mois, l’association des communes de la Plaine Dijonnaise décidait de lancer une action destinée à mettre en valeur les femmes de la région qui ont eu une vie marquante au point d’en laisser la trace. Le nom donné à cette initiative était assez curieux : « Femmes Phares en Plaine » !
La direction du Lycée Henry Moisand a souhaité alors s’inscrire dans l’opération en choisissant Hélène Moisand comme femme phare et m’a demandé de faire une présentation d’Hélène devant une classe de CAP 2ème année. Rendez-vous fut pris fin septembre pour un échange de questions et réponses devant une vingtaine d’élèves, leurs professeurs et les responsables de l’initiative. La réunion a eu lieu dans la grande salle à manger de la Villa, elle a duré beaucoup plus longtemps que je ne m’y attendais, ce qui laisse à penser que l’évocation de la vie d’Hélène a retenu l’attention de l’auditoire.
Si des personnes qui ne l’ont pas connue ont souhaité honorer sa mémoire, comment nous ses petits-enfants, qui l’avons bien connue et qui en avons gardé un souvenir très fort, ne pourrions pas le faire à notre façon ? C’est ainsi qu’est née l’idée de lancer ce numéro spécial sur Hélène.
Je me plais à penser, en bouclant ce numéro spécial, que la façon dont nous, ses petits-enfants, avons ravivé son souvenir est la plus belle qui soit.
